Début septembre 2019, Bernard Delas, vice-président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a une nouvelle fois attiré l’attention des assureurs sur la diminution du rendement des actifs. C’est une conséquence des programmes d’assouplissement quantitatif mis en œuvre par la Banque Centrale européenne (BCE) entre 2011 et 2018 et d’un taux principal de refinancement qui a atteint le plancher de 0 % en mars 2016. Dans cet environnement inédit, le rendement des OAT françaises à 10 ans est passé en territoire négatif depuis fin juin 2019. Pis, aujourd’hui, les courbes de taux sont plates ou inversées, avec des taux d’intérêt à court terme se rapprochant ou dépassant ceux à long terme.
Cette situation incite les assureurs à réviser durablement leur modèle de gestion de l’épargne investie, et plus particulièrement la commercialisation des fonds en euros. Plusieurs assureurs ont d’ores et déjà annoncé leur volonté de restreindre davantage l’accès au fonds en euros, et même de se préparer à leur fin. Ils invoquent la nécessité a minima de diversifier les placements de l’actif général de l’assurance-vie afin de le décorréler de celui de l’OAT à 10 ans.
La remise en cause de la place des fonds en euros dans l’assurance vie en France constitue un changement de culture pour les épargnants mais aussi pour les assureurs eux-mêmes. Quelles sont les pistes pour favoriser cette révolution ?
1/ Modifier les allocations d’actifs proposées aux clients
Afin d’inciter les clients à se désensibiliser davantage au fonds en euros, les assureurs peuvent agir sur les allocations d’actifs proposées en gestion libre, conseillée ou encore appliquées dans le cadre d’une gestion sous mandat ou pilotée.
La mise à jour des hypothèses de rendement et de risque du fonds en euros va conduire à une réduction mécanique de sa part dans les allocations d’actifs au bénéfice de celle des unités de compte (UC). Le pourcentage optimal d’UC obtenu peut alors atteindre un seuil difficilement acceptable pour l’épargnant. Plusieurs solutions peuvent être envisagées :
- Différencier les allocations d’actifs proposées pour chaque profil investisseur en fonction du montant investi ou de la segmentation clients. Cela permet, par exemple, de ne pas changer la part de fonds en euros pour les clients grand public et de la baisser pour les clients patrimoniaux.
- Modifier les hypothèses de rendement et de risque des profils de sorte que la part du fonds en euros ne descende pas en-dessous d’un seuil acceptable pour les clients (exemple : un maximum de 30% d’UC pour les profils prudents).
- Introduire, dans les allocations d’actifs, des UC alternatives au fonds en euros (cf. ci-après)
Quelle que soit la solution choisie, la pédagogie auprès des distributeurs et des clients sera de mise. Dans ce contexte, la mise en avant de la gestion sous mandat, conseillée ou pilotée est plus que jamais adaptée.
2/ Innover sur les unités de compte et le conseil apporté au client
Au même moment, et pour orienter les épargnants vers les unités de compte, les assureurs doivent innover dans la sélection des supports et le conseil prodigué au client, notamment en proposant des fonds différenciants en alternative au fonds en euros :
- des fonds de performance absolue : constitués de supports décorrélés des marchés actions et taux, ces fonds promettent une performance positive quelle que soit l’évolution globale des marchés financiers.
- des fonds « protégés » ou des produits structurés, à garantie partielle du capital à l’échéance : ces fonds permettent de soulager les assureurs en matière de fonds propres et d’espérer un meilleur rendement que les fonds 100 % garantis.
D’autres pistes d’innovation font la part belle à la sécurité associée au fonds en euros, à laquelle les assurés restent très attachés. Par exemple, des garanties optionnelles de prévoyance en cas de vie, valables sur les unités de compte, peuvent être prévues. De même, des solutions de couverture sur-mesure sur les unités de compte peuvent être proposées pour rassurer les clients et les accompagner dans leur prise de risque.
Enfin en matière de conseil sur la diversification, les assureurs peuvent s’appuyer sur des Fintechs qui proposent, à l’aide d’algorithmes d’analyse des encours et de diagnostic de risque, une allocation adaptée aux contraintes du client et au contexte de son contrat, sous une forme simple et attractive. En nouant des partenariats, les assureurs sont en mesure d’améliorer non seulement leurs offres mais aussi les outils de vente dont disposent leurs conseillers.
3/ Une place à trouver pour l’Euro-croissance ?
L’Euro-croissance, lancé en 2014, pâtit d’une complexité relative dans son mode de fonctionnement qui repousse l’épargnant non averti. La loi Pacte a simplifié le dispositif mais pour attirer l’investisseur du fonds en euros, il est nécessaire de mener un travail de pédagogie aussi bien auprès de l’épargnant que du conseiller. Une communication destinée à l’épargnant averse au risque et axée sur la protection du capital à une certaine échéance constitue ainsi un axe de travail.
Pour l’épargnant plus appétent au risque, l’Euro-croissance présente moins d’intérêt qu’une solution plus flexible reposant sur une répartition entre fonds en euros et Unités de compte. L’investissement est davantage corrélé aux marchés financiers, plus risqués, alors que le fonds en euros permet plutôt à l’épargnant de prévenir une crise obligataire à venir. Une réflexion doit être menée par les assureurs concernant la garantie du capital sur les produits d’assurance-vie. Cette réflexion pourrait notamment porter sur les notions de seuil de rendement, à l’image du fonctionnement des produits structurés, avec une protection du capital sur des critères bien définis dès l’entrée sur le produit.
4/ Orienter la collecte vers l’épargne retraite nouvelle génération
Les nouveaux PER introduits par la loi PACTE pourraient représenter un relai de croissance pour les compagnies d’assurance. L’article 72 favorise même cette action jusqu’au 1er Janvier 2023 grâce au doublement des abattements fiscaux et à une plus grande souplesse à la sortie.
Ainsi, la simplification de l’offre, les avantages fiscaux et l’espérance de rendement plus élevé à long terme permettraient de drainer une partie des placements en fonds en euros vers le nouveau Plan Epargne Retraite. Le marché s’attend à un succès commercial de ces produits et de grandes compagnies d’assurance ont déjà commencé à les proposer dès l’automne 2019 (la loi a fixé la date d’entrée en vigueur à janvier 2020).
Par ailleurs, la loi propose par défaut la gestion pilotée pour les PER. La délégation totale des décisions d’investissement permettra au gérant d’adapter les supports d’investissements au profil risque du client, à l’horizon d’investissement (âge prévisionnel du départ à la retraite) et à l’évolution des marchés, notamment l’évolution de la courbe des taux. Le gérant optera pour une allocation dynamique en OPC actions diversifiés lors des premiers versements, puis réorientera l’allocation vers des actifs moins risqués, types OAT, à l’approche de la retraite. Le succès de ces produits sera fortement lié à la pédagogie autour de la définition du profil de l’épargnant, censé être plus dynamique qu’en assurance vie en lien avec un horizon d’investissement plus long.
En résumé, quelle alternative aux fonds en euros en fonction de son aversion au risque ?
Le contexte économique place les assureurs devant un véritable tournant pour l’assurance vie et globalement pour la gestion de l’épargne « à la française ». Les offres vont devoir être modifiées en profondeur au fil des mois et années à venir.
Il s’agit d’un véritable changement de paradigme qui ne concerne pas uniquement le client final. C’est l’ensemble de la chaîne de distribution (assureurs, distributeurs, conseillers…) qui devra revoir sa stratégie.