Cet exercice est une première. Il s’inscrit dans la droite ligne de la démarche engagée avec l’Accord de Paris de 2015 et la Loi sur la transition énergétique et la croissance verte pour mieux mesurer et lutter contre le réchauffement climatique.
Preuve de la prise de conscience du rôle du secteur financier et du risque lié au dérèglement climatique, l’exercice pilote mené par l’ACPR a largement mobilisé : les acteurs qui ont répondu présents représentent 85 % du total des bilans bancaires et 75 % du total du bilan et des provisions techniques des assureurs.
Les états à renseigner permettaient deux types de projections, à court et moyen terme (2025) et long terme, allant jusqu’à 2050. Une vingtaine de reportings ont été demandés par l’ACPR, concernant à la fois l’actif et le passif, et détaillant pour ce-dernier l’impact d’événements climatiques (tels que la sécheresse, les inondations et les cyclones) mais également les impacts sur maladies et à pollution (qui ne font pas partie des catnat).
Des enseignements sur l’exposition des assureurs aux effets du dérèglement climatique
1. Risque de transition
Le risque de transition résulte des ajustements liés à la transition vers une économie bas carbone, qui passerait notamment par une baisse de la valeur des actifs jugés trop émetteurs de gaz à effet de serre.
L’ACPR note, à l’issue de l’exercice pilote, que l’impact du choc de transition est très modéré sur la répartition des investissements, avec une grande stabilité de l’allocation des actifs. Côté obligations, l’impact maximum des secteurs les plus émetteurs serait de 4 % dans un scénario de transition accélérée. Cet impact est in fine modéré car la part de ces actifs représente moins de 0,5 % des portefeuilles. Du côté des actions, la baisse de valeur des industries émettrices comme l’extraction minière est beaucoup plus marquée (jusqu’à 25 %). Néanmoins l’impact général sur la valeur des actions reste faible puisque l’exposition à ces actifs représente au maximum à 15% du portefeuille et que la part des actions dans l’actif des assureurs est faible.
Le risque de transition n’a donc qu’un impact faible, mais ce constat doit être relativisé car
- il reste de grandes incertitudes liées à la vitesse du changement climatique ;
- aucune récession économique n’a été incluse dans le modèle à horizon 2050.
2. Risques physiques
Les risques physiques résultent des dommages directement causés par les phénomènes météorologiques et climatiques, allant de l’augmentation de la fréquence au coût des sinistres à régler par les assureurs.
Les scénarios de modélisation CatNat à horizon 2050 ont fait l’objet de travaux des assureurs. Ceux-ci ont pu s’appuyer sur les projections de la CCR, ou bien utiliser leurs propres scénarios fondés sur le scénario 8.5 du GIEC.
Lire notre article « Comment modéliser la sinistralité à horizon 2050 ? »
Il ressort de l’exercice pilote que, la sinistralité des branches Catnat augmenterait de 174 % entre 2019 et 2050, avec une hausse plus marquée dans les départements les plus exposés aux risques inondation (le long de la Garonne et du Rhône) et sécheresse (arc Sud-Ouest/Nord). A noter cependant qu’un effet de rattrapage est visible : les départements dont la sinistralité augmente le plus sont souvent ceux dont la sinistralité est, à ce jour, la plus faible.
Par ailleurs, un choix était laissé aux assureurs sur le traitement de cette hausse de la sinistralité : réallocation du portefeuille (pour aller vers des département moins exposés), hausse des cotisations, revu des garanties ou modifications des programmes de réassurance. In fine, les assureurs ont majoritairement penché pour une hausse des primes d’assurance, qui augmenteraient ainsi de 130 % à 200 % d’ici à 2050, soit bien plus que l’inflation anticipée.
Concernant les risques liés aux maladies, et donc sortant du régime catnat, les hausses seraient très marquées, de façon assez logique, sur une large moitié sud de la France (liée à la reproduction des moustiques favorisée par la hausse des températures).
Des travaux à prévoir pour améliorer la méthodologie de ces stress tests climatiques
Au-delà de la mesure du risque climatique pour les assureurs, ce premier exercice climatique mené par l’ACPR permet de faire émerger les enjeux méthodologiques à résoudre dans les mois et les années qui viennent.
L’ACPR, à l’image de son homologue anglais qui s’est livré au même exercice il y a quelques mois, note que la projection sur 30 ans est inhabituelle pour les assureurs (les stress-tests ayant un horizon beaucoup plus réduit, généralement 3 à 5 ans). De fait, la moitié des groupes ayant participé à l’exercice ont eu recours à des prestataires pour les accompagner. Un effort d’uniformisation est donc à produire, d’autant que les bases de projections utilisées (i.e. les scénarios du GIEC) sont appelées à des révisions régulières.
L’ACPR observe également des difficultés à identifier les secteurs sensibles au changement climatique. Les hypothèses de mix énergétique et d’efficacité énergétique de la production que suppose cette identification devront être affinées et mieux intégrées à l’exercice. Au-delà, d’autres hypothèses pourraient être prises en compte, par exemple le lien entre taux d’intérêt et changement climatique (le taux d’intérêt étant une composante importante des évaluations Solvabilité II).
Enfin, l’ACPR souligne qu’aucun assureur n’a voulu remettre trop profondément en cause ni sa stratégie d’allocation d’actifs, ni sa politique de réassurance. Pourtant, concernant ce dernier point, l’impact sur la sinistralité totale du changement climatique est sensible et un simple adossement des primes pour maintenir le niveau de S/P semble peu probable. Des choix stratégiques vont immanquablement devoir être faits.
Il y a quelques mois, les régulateurs néerlandais et britannique avaient déjà tirés de premières conclusions sur la base de leurs exercices climatiques respectifs. Et l’amélioration et l’homogénéisation des méthodologies utilisées faisaient là aussi partie des axes de progrès identifiés. Le régulateur britannique notait que les assureurs semblaient bien protégés contre le risque physique, mais soulignait que les méthodes et outils utilisés étaient très divers. De son côté, le régulateur néerlandais observait la difficulté à identifier les actifs exposés directement aux risques climatiques.
Conclusion
In fine, la vision qui ressort de ce premier exercice climatique pour les assureurs est contrastée. D’une part, l’impact du risque de transition apparaît comme est très limité, lié principalement à la structure des portefeuilles des assureurs français. D’autre part, l’impact du risque physique semble beaucoup plus marqué, allant jusqu’à une sinistralité multipliée par 6 pour certains départements. Toutefois, ce constat est à nuancer : en effet la modélisation de ces phénomènes, et surtout de leurs conséquences financières, n’est pas encore arrivée à maturation. Différents modèles co-existent (FFA et Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, CEPRI…) avec des résultats présentant de fortes variations.
Un travail d’approfondissement et d’harmonisation des méthodologies et des scénarios d’analyse devra être engagé. Nul doute que la profession planchera rapidement sur le sujet pour définir une position de place quant aux méthodes de projections à 30 ans, d’identification des actifs impactés ou plus généralement du suivi de la sinistralité. L’ACPR précise que ces exercices seront reconduits régulièrement : le prochain est ainsi attendu pour 2024 au plus tard.